FRANCOPHONIE, Globalisation et couleur locale
La Francophonie est une réalité linguistique planétaire, répartie sur les cinq continents : des populations ou des individus qui utilisent le français comme moyen de communication avec les autres. Au sein de la communauté francophone coexistent des cultures asiatiques, arabes, nord-américaines, caraïbes, africaines, européennes et autres, qui concourent à en faire une exceptionnelle mosaïque.
Elle est aussi une Organisation Internationale (OIF) créée en 1970 et qui, en 2018, comptait parmi ses membres 88 États ou gouvernements. Elle a pour mission de promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique, de promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l’homme, d’appuyer l’éducation et la recherche et de développer la coopération.
La Francophonie représente une alternative à la globalisation sauvage qui menace les identités de chaque peuple et entraîne une standardisation culturelle en uniformisant les comportements et les modes de vie. La francophonie a toujours milité pour la diversité culturelle qui est, en quelque sorte, sa raison d’être et qui a été clairement consacrée par la Déclaration de Cotonou. Chaque langue est la fille de son histoire : la langue française, qui a connu son siècle des lumières, est, comme affirmait Léopold Sédar Senghor, «le fondement d’un humanisme»; elle est porteuse des valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité qui, en se propageant auprès des pays du Sud, peuvent améliorer le quotidien des populations locales, combattre le racisme, et dissiper les tensions et les malentendus avec les pays du Nord qui, de leur côté, devraient veiller à mieux respecter ces valeurs.
Représentant une manière de communiquer libre et universelle, la culture francophone est devenue une source d’inspiration et une manière d’être de beaucoup d’érudits, d’artistes ou de scientifiques du monde entier. Et bien sûr, les Roumains ont été nombreux à adopter comme moyen d’expression la langue de Molière ou de Victor Hugo: depuis les révolutionnaires de 1848 (Nicolae Bălcescu, Vasile Alecsandri, Mihail Kogălniceanu et Alecu Russo), en passant par des noms illustres appartenant aux familles princières (Marthe Bibesco, Matila Ghyka, George Barbu Ştirbei, Hélène Vacaresco), par des artistes et penseurs de taille mondiale (Emil Cioran, Mircea Eliade, Eugène Ionesco, Constantin Brâncuşi), jusqu’aux écrivains contemporains (Paul Goma, Vintilă Horia, Alexandru Paleologu, Dumitru Tsepeneag, Matei Vişniec). La Francophonie réunit, en effet, toutes les conditions pour devenir un des acteurs majeurs de la diversité culturelle.
Panait Istrati fait partie de ces écrivains rares et précieux qui se sont exprimé en français et qui ont chanté les pauvres et les marginaux. Un autodidacte né en Roumanie, qui a fait passer dans la littérature française un grand souffle lyrique porté par les brises danubiennes. Inclassable et intrépide, il n’a jamais renoncé à croire que la révolution devait être faite sous le signe de l’enfance. Panait Istrati est l’auteur de Kira Kiralina, Oncle Anghel et Les Chardons du Bărăgan. Né à Brăila, cet Européen vagabond, fils d’une blanchisseuse roumaine et d’un contrebandier grec, a composé l’essentiel de son œuvre en français. Mais comme il est revenu dans son pays natal juste avant de mourir, après s’être beaucoup promené autour de la Méditerranée (Grèce, Turquie, Liban, Egypte) on ne songe pas à lui attribuer la place éminente qu’il mérite dans l’histoire de la littérature de langue française du XXe siècle.
Julie Haşdeu a vécu seulement 19 ans, mais elle est considérée comme un véritable génie, car douée et talentueuse (polyglotte, parlant le roumain, le français, l’allemand, l’anglais dès l’âge de 8 ans), elle a laissé deux volumes d’œuvres poétiques posthumes: Les Bourgeons d’avril : Fantaisies et rêves et Chevalerie : Confidences et canevas. En lisant les poèmes de Julie Haşdeu, nous découvrons le sens profond dans la perception des lumières, des éclats, du rayonnement des eaux et des paysages. Son intelligence a été en mesure de dépasser les barrières politiques et nationalistes. A l’âge de dix et onze ans, elle écrivait en roumain, mais surtout en français, des poésies, des légendes, des comédies et quatre romans d’enfant. C’est la langue française qui était venue à son secours quand elle s’est vue refuser la liberté d’écrire en sa langue maternelle.
Voilà donc deux écrivains francophones de nationalité roumaine qui sont peut-être trop souvent oubliés dans ce monde globalisé. Et l’un et l’autre se trouvent à cheval sur deux cultures, sur deux littératures ; ils ne sont pas à cent pourcent chez eux ni dans l’une, ni dans l’autre. Leur souffle, leur inspiration et leur manière de penser viennent de leur culture nationale, sud-est européenne, claustrée entre des frontières dures, trop souvent victimes des préjugés; le français leur a offert le débouché vers la grande littérature du monde, vers un public beaucoup plus nombreux, vers le statut de citoyen du monde, donc vers la globalisation. En même temps ils gardent leur saveur particulière grâce à leur identité nationale. Car le français est une langue qui accueille et qui accepte toutes les diversités du monde, sans uniformiser.
Je vous propose d’apprécier la poésie Papillon, de Julie Haşdeu, publiée dans le volume Bourgeons d’avril :
Dans l’éther bleuâtre
Il vole folâtre,
Ce papillon d’or,
Papillon céleste
Qui jamais ne reste
Dans son fol essor!
Ses ailes vermeilles,
Aux rayons pareilles,
Vives, fendent l’air:
Forme radieuse
Qui passe joyeuse
Comme un brin d’éclair!
*
Brillante chimère,
Pauvre être éphémère,
Ta vie est un jour.
Naître avec l’Aurore
Et la voir éclore
Sans voir son retour ;
Boire la lumière
Dans l’aube première,
Et parmi le thym
Boire la rosée
Dans la fleur baisée,
Tel est ton destin !
*
Notre esprit volage
Dans l’éther s’engage
Cherchant la clarté ;
Mais vite il retombe :
Dans la lourde tombe
Meurt sa vanité.
Plus il brille au monde
Et plus est profonde
Sa prochaine nuit :
Là son éclat passe,
Sa grandeur s’efface,
Nul éclair n’y luit.
*
Vivons donc sans gloire.
Contons une histoire
Simple au temps qui fuit :
Un amour paisible
Dans un cœur sensible,
Un bonheur sans bruit,
C’est là qu’est la joie
Que Dieu nous envoie,
C’est le bien réel.
Aimons donc quand même,
Car c’est quand on aime
Qu’on gagne le ciel !
Paris, février 1885.
Simionescu Miruna Florentina